Vendre un bien en viager : liberté du propriétaire et limites légales

Le viager connaît un regain d’intérêt en France : il séduit à la fois les investisseurs, en quête d’opérations patrimoniales de long terme, et les seniors qui souhaitent compléter leurs revenus.
Cependant plusieurs questions peuvent se poser en matière de cession :
- Un propriétaire peut-il vendre son logement en viager sans demander l’autorisation de ses enfants ou futurs héritiers ?
- Un propriétaire peut-il vendre un bien sans l’accord des autres propriétaires ?
- Existe-il des exceptions au droit de propriété ?
Pour répondre, il faut distinguer le principe général – qui consacre une large liberté – et les exceptions prévues par la loi.
Le principe : une liberté de disposer de son bien
En droit français, la propriété est définie par l’article 544 du Code civil :
« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
Autrement dit, un propriétaire est en droit de vendre librement un bien immobilier, qu’il s’agisse d’une vente classique ou d’une vente en viager.
Toutefois plusieurs conditions doivent être réunis pour vendre son bien en toute liberté.
Les conditions générales
- La pleine propriété du bien : être seul propriétaire du bien et ne pas le détenir en indivision ou en démembrent de propriété ;
- La protection juridique : ne pas faire l’objet de mesures de protection juridique (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.)
- Les dérogations prévues par la Loi : vous de devez pas être dans une des exceptions prévues par la Loi ;
Ces exceptions démontrent que même si la loi permet de vendre librement son bien immobilier, des situations particulières peuvent nécessité l’accord de tierce personne.
Les conditions liées au viager
Par ailleurs, pour que le viager puisse être qualifiée de vente, la Loi impose des conditions particulières liées à la nature même de l’opération.
Il faut donc que :
- le prix ne soit pas manifestement dérisoire ;
- et qu’il existe un véritable aléa ;
À défaut, l’opération risquerait d’être requalifiée en donation déguisée.
Les exceptions : quand l’accord d’autres personnes devient obligatoire
Cette liberté de disposition connaît toutefois des limites importantes.
Dans plusieurs situations, la signature d’un contrat de viager nécessite l’accord d’autres parties ou l’autorisation d’un juge.
En cas de non-respect, le vendeur s’expose purement et simplement à l’annulation de la vente.
Bien en indivision
L’indivision est une situation juridique se caractérisant par la concurrence de droits de même nature sur un biens, par plusieurs personnes, sans division matérielle.
Il peut s’agir :
- d’une indivision désirée : comme dans une co-acquisition entre partenaires de PACS ;
- d’une indivision subie : comme dans le cas d’un divorce ou d’une succession ;
Dans le cadre d’une indivision, les actes lourds tels que la vente du bien nécessitent l’accord à l’unanimité de tous les indivisaires.
Exemple :
Quatre enfants héritent d’une maison familiale en indivision. L’un d’eux souhaite vendre sa quote-part en viager. Il ne peut pas céder la pleine propriété du bien sans l’accord unanime des trois autres.
Est-il possible de forcer le vente si un indivisaire refuse l’opération ?
Pour éviter les blocages, plusieurs solutions peuvent s’envisager :
- La sortie de l’indivision : le code civil dans son article 815 prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ».
Il est possible, via une procédure judiciaire, de demander le partage à un juge. L’objectif est que chacun récupère la quote-part de valeur auquel il a droit. Pour ce faire, le juge peut prononcer la vente du bien.
Cette solution peut permettre de sortir de l’indivision, cependant, elle s’effectuera probablement via une cession classique du bien immobilier et non une vente en viager.
- Le rachat des parts aux autres indivisaires : il est possible de racheter la quote-part de chaque indivisaire pour envisager ensuite une cession seul du bien.
Cependant, cette solution implique d’avoir des moyens financiers suffisants et l’accord des autres indivisaires.
Démembrement de propriété
Le démembrement de propriété est un mécanisme juridique qui consiste à diviser la pleine propriété d’un bien en deux : l’usufruit et la nue-propriété.
L’usufruitier possède l’usus (le droit d’utiliser le bien) et le fructus (le droit d’en percevoir les fruits).
Le nue-propriétaire détient, quant à lui, l’abusus qui est le droit de disposer du bien.
Le démembrement prend fin au décès de l’usufruitier. La pleine propriété du bien revient au nu-propriétaire qui en devient l’unique propriétaire.
Le démembrement de propriété est souvent utilisé dans des situations familiales telles que des donations ou des successions : donation de la nue-propriété à un enfant pour anticiper la transmission, décès d’un des époux et récupération de la nue-propriété par l’enfant, etc.
Dans le cas d’une vente en viager sur un bien démembré, il est nécéssaire d’obtenir l’accord de l’usufruitier et du nu-propriétaire pour pouvoir vendre le bien en pleine propriété.
À défaut, il est possible de vendre uniquement son droit (usufruit ou nue-propriété) mais cela n’aura pas les mêmes conséquences qu’une vente en viager.
Bien relevant du régime matrimonial des époux
Plusieurs cas peuvent s’envisager :
- Un applicable à tous les couples mariés ;
- Un autre lié au régime matrimonial choisi par les époux ;
Le régime primaire applicable à tout les couples mariés
Il existe un régime primaire qui comprend un ensemble de règles découlant du mariage qui s’applique à tous les époux, quel que soit le régime matrimonial qu’ils ont adopté.
L’objectif du régime primaire est de protéger le conjoint et les enfants contre des initiatives solitaires d’un époux.
En ce sens, l’article 215 du Code civil prévoit que la cession de la résidence principale du couple ne peut être réalisée qu’avec l’accord des deux époux.
La propriété du bien n’a pas d’importance, cette opération nécessite une décision unanime.
Pour aller plus loin, sachez que même lorsqu’un bien est détenu que par un seul époux, s’il s’agit de la résidence principale, il ne peut être vendu sans l’accord de l’autre.
Les biens détenus en communauté
Le régime matrimonial est un ensemble de règles qui permet de régler les rapports matrimoniaux entre époux. Il défini notamment les règles de propriété des biens qui composent leur patrimoine.
Il existe différents régimes matrimoniaux : certains séparatistes, d’autres communautaires.
Les époux peuvent définir le régime matrimonial dans leur contrat de mariage. À défaut, ils sont automatiquement soumis au régime légal, appelé aussi le régime de la communauté réduite aux acquêts.
Dans un mariage sous communauté légale, tout bien acquis pendant le mariage est commun, sauf preuve de propriété propre (exemple : si le bien a été acquis reçu par donation ou héritage).
La vente en viager d’un bien commun nécéssite le consentement des deux époux.
Cette règle s’applique aussi à d’autres régimes matrimoniaux tels que la communauté universelle.
Les mesures de protection juridique
Les personnes majeures souffrant d’une altération de leurs facultés mentales ou corporelles de nature à empêcher l’expression de leur volonté font l’objet de mesures de protection.
Il existe plusieurs mesures de protection (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle, etc.) qui sont organisées selon un principe de graduation ; la mesure appliquable doit être proportionnée avec l’état de vulnérabilité de la personne.
Sous un régime de protection, l’article 426 du code civil impose une autorisation préalable du juge ou du conseil de famille (s’il en existe un), dès lors qu’une personne protégée est amenée à :
- vendre sa résidence principale ;
- vendre sa résidence secondaire ;
Le juge vérifiera que la vente – y compris en viager – est dans l’intérêt du majeur protégé.
Cet article n’a pas vocation à s’appliquer pour un bien immobilier dans lequel la personne protégée ne séjourne pas.
Dans ce cas, les conditions de vente seront différentes selon la mesure de protection applicable. Ainsi, l’autorisation du juge sera toujours obligatoire pour une personne sous tutelle, mais pas pour une curatelle.
Points de vigilance pour éviter les contestations des héritiers
La vente en viager ne nécessite pas l’accord des héritiers sauf exceptions.
La vente est ferme et définitive.
Au décès du crédirentier, le bien sort de la succession. Il n’entre plus dans le patrimoine transmis au décès, même si la mort survient peu après la vente.
Une vente en viager ne peut pas être contestée par les héritiers seulement car elle diminue leur part d’héritage.
Cependant, si les héritiers estiment que la vente cache une donation déguisée alors ils peuvent tenter une action en justice.
Ce risque existe surtout si le bouquet et la rente sont manifestement sous-évalués.
Pour éviter tout risque et même si la loi n’exige pas l’accord des héritiers, la transparence reste la meilleure protection.
- Informer la famille : expliquer les raisons de la vente peut désamorcer les conflits;
- Passer par un notaire : il sécurise l’acte, vérifie la capacité juridique et la réalité du prix;
- Évaluer le bien et la rente par un professionnel indépendant;
- Conserver les justificatifs (expertise, échanges, calculs de la rente) pour démontrer le caractère onéreux.
Conclusion
La vente d’un bien en viager reste, dans la grande majorité des cas, un acte libre. Le Code civil protège le droit de propriété et reconnaît au propriétaire la faculté de disposer de son bien comme il l’entend, y compris en viager.
Cependant, cette liberté n’est pas absolue : indivision, démembrement, règles du régime matrimonial ou mesures de protection juridique peuvent exiger l’accord d’un conjoint, d’un coindivisaire ou d’un juge.
Pour éviter toute contestation ultérieure, il est essentiel de sécuriser chaque étape : expertise indépendante, accompagnement d’un notaire, transparence vis-à-vis de la famille.
Bien préparée, la vente en viager permet donc au propriétaire de dégager un revenu tout en organisant sa succession, tout en respectant le cadre légal qui protège les proches et les copropriétaires.
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